La polémique surgie autour du Monument de la Renaissance africaine a
créé dans le pays un climat de malaise qui ne peut laisser aucun
républicain indifférent. Tant de malentendus, de contresens et
d’inflation verbale interpellent tous ceux qui sont attachés aux
précieux micro-équilibres bâtis par l’histoire entre la puissance
publique et les forces religieuses. De surcroît, nul ne peut assister,
sans réagir, au ternissement de l’image de tolérance et d’harmonieuse
cohabitation confessionnelle de notre pays, qui est notre patrimoine
commun. Revenons au fait déclencheur de toute cette polémique : une
phrase prononcée par le chef de l’Etat dans un contexte déjà largement
tendu sinon pollué par l’affaire même du monument. Dès lors, tout
propos ou commentaire sur cette question devenait inévitablement
suspect et de nature à faire enfler la polémique. Ce fut le cas des
paroles présidentielles tenues devant les enseignants de la Génération
du concret qui me font penser à une digression ou une simple
« incidente » au cours d’un long développement explicatif en guise de
plaidoyer. On pourrait s’en tenir là ! Mais face à l’ampleur prise par
cette affaire et sa politisation, quelques clarifications s’imposent.
Ce que je crois, c’est que les mots ont de toute évidence dépassé la
pensée de leur auteur.
Ensuite, et telle est ma conviction profonde, Maître
Wade ne peut être soupçonné de manquer de tolérance religieuse. A
l’évidence, l’homme fait preuve, dans sa vie privée, d’une posture
intellectuelle
et sociale faite d’ouverture d’esprit envers toutes les
confessions, ce qui évacue, d’emblée, tout soupçon d’intolérance. Au
plan de la vie publique, le président Wade est personnellement très
présent et engagé dans les principales initiatives de portée
internationale en faveur du rapprochement entre les religions. Il a
participé au lancement de l’Alliance des civilisations, initiée par
M. Kofi Annan, au dialogue interreligieux, notamment celui entre Islam
et Christianisme ; et plus récemment au dialogue judéo-arabe à travers
le projet Aladin, lancé en sa présence par M. Jacques Chirac et Madame
Simone Veil.
En 2008, il avait réuni autour de lui des imams et des
rabbins pour les associer à des initiatives de relance du processus de
paix en Palestine. Quel contraste ! en effet, avec l’image déformée du
même homme qui nous est renvoyée par une communication dramatisante
profitant du contexte de l’affaire du monument. Toutefois, nous tenons
là une chance de dissiper le malaise qui a pu s’installer entre le
pouvoir et les communautés religieuses, d’une part, et de rétablir
l’image ternie de notre pays à l’extérieur, d’autre part.
Saisissons-là : c’est celle du débat démocratique et serein sur les
religions et la renaissance africaine. Il s’agit de dépasser la
question du monument pour s’intéresser à la renaissance en elle-même et
explorer les apports fécondants que les religions peuvent apporter au
projet de renaissance africaine. Chacun sait que les sociétés
africaines sont fondamentalement de nature spirituelle et que la
religion y occupe une place déterminante dans la vie des hommes.
Abordons sans complaisance ni fétichisme les spécificités de l’Islam
noir, la résurgence des religions africaines dans certaines régions du
continent, le rôle de la présence chrétienne dans les sociétés à
majorité musulmane et inversement, ainsi que d’autres questions telle
que la montée marquée des religions, le statut de la femme en Islam,
etc.
Notre société n’est ni figée ni dogmatique, mais
évolutive. Elle vit bien dans son temps et est riche d’une diversité
d’origines ethniques et de confessions d’égale dignité dont chacun peut
être fier.
Le Sénégal doit continuer à rester ce pays qui permet à
chacun d’être ce qu’il veut être. C’est en cela que le modèle de
société sénégalaise est solide et attractif. Lorsqu’il est mis à rude
épreuve, comme c’est le cas avec cette triste affaire, il nous
appartient à tous d’œuvrer à sa sauvegarde. Tel est l’essentiel à mes
yeux, car c’est en cela que le Sénégal est unique !
Ousmane Blondin DIOP-Le Soleil