Le culte de la Campagne Agricole au Sénégal : Une politique d’appauvrissement continu.
Le sénégalais moyen assimile aujourd’hui l’agriculture à la campagne agricole. C’est au moment de la distribution des semences d’arachides que l’on remarque l’effervescence exceptionnelle qui met au devant de la scène le ministre en personne et son cabinet, ses services déconcentrés, et surtout les leaders d’organisations paysannes.
Cela commence d’abord par une vive polémique sur les tonnages à distribuer et se termine par un accord qui permet aux dirigeants des organisations de producteurs de participer à la commission nationale de distribution des semences. Celle-ci est président par une figure très médiatique du mouvement paysan sénégalais connue pour ses sorties tonitruantes sur les questions agricoles et rurales. Toutes les plateformes d’OP y envoient des représentants qui font le tour du pays avec une prise en charge totale (perdiems, hôtels, véhicule, carburant) par le ministère.
Si l’on peut comprendre l’attitude du ministère qui cherche à accréditer l’idée d’une mobilisation généreuse en faveur du monde rural, pour un gain politique escompté, l’implication des OP dans ce rituel est quant à elle difficilement explicable. Pourquoi ?
Au terme de ce branlebas de combat pour distribuer 50.000 tonnes, chaque actif agricole recevra entre 5 et 10 kg de semences non certifiées, si l’opération est rondement menée, et les pertes réduites. Ce qui n’est jamais le cas, et une bonne partie est toujours laissée pour compte car si 3.000.000 d’actifs se partagent 50.000 tonnes chacun aura 15kg. En en déduisant les pertes et les fausses estimations, on retrouve ce chiffre qui correspond à la réalité sur le terrain, où le village de Ngoyère avec 32 carrés et 93 actifs a reçu 5 sacs de 50 kg. Ils se sont entendus pour céder les 5 sacs à 5 carrés sur les 32 par tirage au sort. Les 28 autres familles s’en sont remises à …….DIEU.
Ces quantités sont jugées insignifiantes par les paysans et à juste raison. Avec 10 kg de semences, le paysan sème 8 kg (après triage), cultive 6 kg (pouvoir germinatif 60%), récolte 150 kg (en bon hivernage), les vend à 21750 F (au prix officiel de 145F de 2008) et empoche 20.000 F (après remboursement des semences). Cette somme représente 65% du revenu agricole annuel du producteur du bassin arachidier. Soit 33.000 F/an ou 90 F par jour, contre 400 F/jour estimé comme étant le seuil de pauvreté dans la région de Fatick.
Cette campagne agricole a donc pour résultat de maintenir les producteurs d’arachide dans une pauvreté intense (écart élevé au seuil de la pauvreté). Elle ne leur offre aucune perspective de s’en sortir en réinvestissant dans leurs exploitations pour acquérir des équipements, des engrais, et des variétés performantes en vue d’accroitre leurs rendements et améliorer leurs revenus. Alors l’année suivante sera, si leurs prières sont exaucées, comme cette année (mauvaise). Et au moindre choc externe (mauvais hivernage, mévente, variations de prix, etc.) cet équilibre se rompt et ces masses paysannes sombrent dans la famine et la sous-alimentation. C’est leur sort depuis plus de 30 ans et les pratiques qui l’entretiennent ne semblent pas changer, au contraire. Jusqu’à quand ?
En s’enorgueillissant d’être impliqués dans l’organisation de cette campagne, les leaders paysans ont-ils conscience de participer à une mascarade agricole qui confine leurs membres dans un cercle vicieux de pauvreté ? Prennent-ils conscience qu’ils s’écartent de leur mission fondamentale de défense des intérêts des membres des organisations qu’ils représentent ? L’intérêt, pour ce jeune adulte du bassin arachidier étant de se marier et fonder un foyer, il doit verser une dot de 150.000F pour valider son statut de prétendant. Pour cela il doit vendre 1 tonne d’arachide et donc semer 40 à 50 kg sur son champ individuel de 1 ha. Mais vu la pression foncière dans cette zone, il peut disposer au plus de ½ ha et alors il faudra qu’il puisse vendre sa récolte de 500 kg à 300 F/kg pour empocher la même somme de 150.000 F et démarrer son projet de vie. A ce niveau du prix au producteur de l’arachide, il lui faudra 5 années d’économies et de privations pour concrétiser son rêve. Ce qui est pour lui inacceptable. Alors il débarque à Dakar et se fait enrôler dans les chantiers de l’ANOCI comme briquetier avec un salaire journalier de 1000 F. En acceptant de vivre dans la promiscuité et l’insécurité totales de Niari Talli, Montagne, Nietti Mbar, etc. il a de quoi réaliser son projet au bout de seulement un an. Si ce n’est pas l’ANOCI c’est auprès des grossistes chinois qu’il se ravitaille et devient marchand ambulant. Si ces créneaux ne lui réussissent pas, il trouve emploi dans les gangs de voleurs et/ou agresseurs. Dans ce dernier cas il a toutes les chances d’enterrer son projet de mariage et se reconvertir à cette nouvelle vie urbaine qu’il commence « bien », mais à coup sûr finira « mal ».
Dans ces conditions précises, le rôle du leader paysan est de se battre pour un relèvement conséquent des prix des produits agricoles locaux qui impactent directement le revenu des producteurs et leurs conditions de vie. Plutôt que de se quereller sur l’augmentation des quantités de semences à distribuer, qui ne profiteront qu’à de riches opérateurs ou autres sombres intermédiaires à qui elles seront achetées. Mais ce combat pour des prix rémunérateurs devra être mené en même temps que celui pour la sauvegarde des terres rurales. Les évènements récents de Mbane montrent l’urgence de protéger ces petits paysans contre les agissements de faux investisseurs agricoles et vrais spéculateurs fonciers, opérant à partir du sommet de l’Etat, sous le couvert de lois injustes, et à la faveur d’une GOANA mal orchestrée.
En clair, le vrai combat pour les organisations de producteurs c’est d’obtenir une politique agricole qui engage l’Etat et ses démembrements, et non d’avoir ces campagnes agricoles qui créent et entretiennent le faux débat sur l’agriculture. Les campagnes agricoles sans la politique agricole, c’est faire des briques pour construire une maison sans avoir de plan d’architecture.
Les Organisations Paysannes peuvent (doivent !) boycotter purement et simplement ces campagnes agricoles appauvrissantes, pour exiger que soit mis en place un cadre d’élaboration et de gestion concertées d’une politique agricole globale, axée sur la revalorisation des prix et des revenus agricoles, dont l’Etat aura l’initiative et sera le garant de la mise en œuvre. C’est la porte de secours pour quitter ce sociodrame continu.
Faap Saly FAYE
Ingénieur Agronome - Sénémag