Une étude menée sur 9 millions de personnes durant trente ans confirme que la psychose maniaco-dépressive et la schizophrénie ont des origines génétiques communes. Les maladies mentales restent un mystère pour les médecins à plus d'un titre, même si des progrès ont été faits, quant au diagnostic et à la prise en charge. Aux heures de gloire de la psychanalyse et de l'antipsychiatrie, ces affections avaient été attribuées en partie à des troubles de l'interaction précoce mère-enfant, ou de la communication familiale. Depuis, plusieurs enquêtes ont indiqué que le facteur génétique était important, mais n'était pas seul en cause.
Une des plus grandes études sur ce sujet, publiée vendredi dans la revue médicale
The Lancet, vient d'analyser, pour 9 millions de personnes suivies pendant trente ans, la transmission au sein des familles de la schizophrénie et de la psychose maniaco-dépressive. Partant de ce travail, plusieurs conclusions s'imposent : d'une part, ces deux maladies ont des origines communes, d'autre part, il existe bien une transmission génétique pour ces affections.
Pour aboutir à ces résultats, l'auteur, le professeur Paul Lichtenstein, épidémiologiste au sein de l'Institut Karolinska à Stockholm, et son équipe ont mis en rapport les fichiers d'état civil avec les registres des hôpitaux psychiatriques. Ils ont utilisé des données concernant 2 millions de familles entre 1973 et 2004. Parmi cette population, on comptait 35 985 cas de schizophrénie et 40 487 cas de psychose maniaco-dépressive (également appelés troubles bipolaires). L'objectif étant de déterminer pour une personne donnée le risque d'être atteinte de schizophrénie ou de psychose maniaco-dépressive en fonction de la présence ou non dans sa famille de malades souffrant de l'une ou l'autre pathologie.
Les résultats confirment le caractère largement héréditaire de ces affections (64 % pour la schizophrénie et 59 % pour les troubles bipolaires). Le risque est 9 fois plus important quand on a un frère ou une sœur schizophrène.
Les facteurs environnementauxPour la psychose maniaco-dépressive, le risque est 8 fois plus élevé quand on a un frère ou une sœur déjà atteint. Cette étude montre également que si l'on a un frère ou une sœur schizophrène, on a 3,7 fois plus de risques d'être bipolaire et réciproquement. Et que si l'on a un frère ou une sœur bipolaire, on a 3,9 fois plus de risques d'être schizophrène. Par ailleurs, les enfants adoptés, de parents biologiques qui présentaient des troubles bipolaires, ont également un risque accru de développer une schizophrénie. La prédominance de la génétique par rapport à un contexte social est claire et ce, même si les facteurs environnementaux jouent un rôle non négligeable.
Le psychiatre Bruno Etain, qui travaille dans l'équipe de psychiatrie génétique du groupe hospitalier Chenevier-Mondor de Créteil, estime que le grand intérêt de cet article est d'avoir étudié un nombre très important de familles alors que les études précédentes avaient porté sur seulement quelques centaines de cas. Ce psychiatre qui travaille également à l'Inserm relève que ces dernières années, de nombreuses recherches ont été menées pour étudier la part génétique dans ces maladies. «Or il ne faut pas oublier les facteurs environnementaux», insiste-t-il. Sont suspectés, la grippe pendant la grossesse, certains rétrovirus endogènes, la toxoplasmose et le virus de l'herpès. À cela s'ajoutent les complications obstétricales, accouchement long et compliqué, infections périnatales. Mais aussi des antécédents de traumatisme dans l'enfance, abus sexuels, troubles affectifs. En dépit de son caractère scientifique, la génétique n'est pas en mesure de prédire l'avenir…