Requins? Plus rien !
L'Océanium dans son insatiable combat pour préserver les ressources marines sénégalaises est de nouveau face à un souci d'envergure. Les rapports officiels nous confirment que le stock des grands sélaciens chute de manière vertigineuse depuis quelques décennies et ce, dans toutes les mers du globe, atteignant à ce jour un point de non retour.Loin des tendres clichés de flipper le dauphin ou de Willy l'orque, le requin diabolisé par les " dents de la mer " sème le mythe de la terreur et se révèle, malgré lui, être un monstre à anéantir.
Pourtant ce grand prédateur est le dernier maillon de la chaîne alimentaire et son rôle écologique reste essentiel pour équilibrer les populations des proies qu'il ingurgite. Le massacre de ces animaux met véritablement en péril la stabilité précaire d'un équilibre déjà vilainement bafoué par notre ignorance et nos vénales intentions.
Aujourd'hui au Sénégal, nous sommes confrontés à un double problème :
Les requins sont tout d'abord pêchés à tour de bras pour leurs ailerons tant prisés par le marché asiatique. Il semblerait qu'au même titre que la corne de rhinocéros les propriétés aphrodisiaques de ces segments de cartilage soient fortement convoités par certains hommes exacerbés par leur pulsion virile. L'aileron représente également un met de choix pour les contrées d'Asie.
Les animaux sont pêchés, dépouillés de leurs nageoires et pour certains rejetés pratiquement entiers à la mer. Dans un contexte où les ressources marines se résument à une peau de chagrin, ce gâchis fait preuve d'une absurdité déconcertante. Néanmoins, certains ghanéens s'organisent doucement et tendent à inverser cette tendance en exploitant complètement le requin. Une petite lueur d'espoir pointe le bout de ses nageoires.
A cela s'ajoute une pêche durant la période de gestation. En effet, si le requin est pourvu d'une étonnante adaptation à la prédation, son mode de reproduction est bien moins performant.
La reproduction chez les requins se fait par fécondation interne. Pour cela, il est indispensable qu'un mâle et une femelle puissent se rencontrer pour s'accoupler gentiment. Les requins pourtant ne vivent pas en groupe, les rencontres entre sexe opposé sont aléatoires et plutôt rares pour certains d'entres eux, ce qui a pour conséquence de réduire considérablement les chances d'accouplement et donc le renouvellement du stock naturel.
Une fois que Madame retrouve Monsieur et que le petit câlin (souvent très brutal) a eu lieu, plusieurs modes de gestation sont possibles.
Certains sont vivipares (l'embryon se développe à l'intérieur de la mère et les petits naissent viables). D'autres sont ovipares (les oeufs sont emmagasinés dans une coque de cuir expulsée en mer où les jeunes se développent pendant 6 à 10 mois).
Et enfin il existe des requins ovivipares (les œufs fécondés se développent dans le ventre de la femelle jusqu'à ce que les petits soient libérés, temps de gestation d'environ 9 mois).
Dans tous les cas les femelles donnent vie à seulement quelques petits par cycle. Trop peu pour inverser la tendance d'une extinction annoncée.
Au Sénégal durant les mois de juillet et août, les femelles sont pleines. Le respect des repos biologiques demeure une notion barbare à laquelle personne ne se soumet et la pêche " aux ailerons "continue sans discernement.
Après avoir suivit les pêcheurs sénégalais de Gguet N'Dar (Saint Louis, nord du pays) Haïdar est partie quatre jours au large des Almadies (région de Dakar) sur une pirogue d'environ 20 mètres, intégré au sein d'un équipage de neuf pêcheurs.
La pêche aux requins se pratique avec la palangre de surface, c'est-à-dire une ligne de nylon de plus de 5 km parsemée tous les 15 mètres d'hameçons.
Lors de cette expédition, quatre makos ont été capturés et un requin dormeur. Tous des mâles de bonne taille (max 3m), aucune femelle pleine. Les animaux sont hissés sur la pirogue, puis éviscères et placés en cale ou des tonnes de glaces les figent jusqu'au port. Il seront alors vendu frais à 1000 Fcfa/kg (1,52 Euros) sans ailerons sur le marché dakarois.
Suite à ce voyage dans les contrées nordiques, l'enquête se poursuit par une virée dans le village d'Elinkine en Casamance (sud Ouest du Sénégal). Ne pouvant suivre les pêcheurs pour 15 à 20 jours de campagne nous nous sommes arrêtés pour le débarquement des grandes bestioles. La plupart sont déjà dépourvues des nageoires précieuses et attendent pitoyablement sur le sable. L'animal entier ne se vend plus que 6000 Fcfa Le kilo. Seules les gana gana (femmes transformatrices ghanéenne) le sèche et le sale pour le vendre sur le marché de la sous région (Burkina Faso, Mali).
Nous ne pouvons jeter naïvement la pierre aux pêcheurs qui pratiquent cette pêche. En effet, sachant que 1kg d'ailerons se vend sur le marché environ 40 000 à 50 000 Fcfa (soit 69 Euros/kg), on comprend mieux pourquoi certains pêcheurs dont le revenu mensuel atteint péniblement le kilo d'ailerons continuent cette pêche pourtant destructrice.
Il est désormais évident que le prélèvement anarchique des ressources doit se soumettre à une gestion durable, organisée et planifiée en tenant compte des paramètres socio économiques des régions concernées. Des mesures de compensations sont maintenant nécessaires dans les pays où la seule source de subsistance d'une famille entière reste le prélèvement sans condition aussi insouciant soit il.
Après avoir traversé le pays de part en part par la côte et avoir observés les pratiques réservés à nos requins nous envisageons une campagne nationale de sensibilisation afin de dénoncer ce gaspillage et trouver des solutions à cette pagaille.
Blandine Mélis
Biologiste marin et monitrice de plongée, OCEANIUM
Juillet 2003