Le chant de la Violette
Je suis habillée du manteau d'une feuille verte, et d'une robe d'honneur
ultra-marine. Je suis une toute petite chose d'un aspect délicieux.
Que la rose s'appelle Orgueil du Matin ! Moi, j'en suis le mystère.
Mais qu'elle est digne d'envie, ma soeur la rose, qui vit de le vie des
heureux et qui meurt martyre de sa beauté !
Moi, je me fane dès mon enfance, consumée de chagrin, et je nais
vêtue de deuil.
Qu'ils sont courts les instants où je jouis d'une vie agréable ! Hélas !
hélas ! qu'ils sont longs les instants où je végète sèche et dépouillée de
mes robes de feuilles.
Voyez ! Aussitôt que s'ouvre ma corolle, on vient me cueillir et me
sevrer de mes racines, sans me laisser le temps de parvenir de ma
croissance.
Alors il ne manque pas de gens qui, abusant de ma faiblesse, me
traitent avec violence, sans que mes agréments ni ma modestie les
puissent toucher.
Je cause du plaisir à ceux qui sont auprès de moi, et je plais à ceux qui
m'aperçoivent. Pourtant, à peine se passe-t-il un jour, ou même une
partie d'un jour, que déjà l'on ne m'estime plus :
Et l'on me vend au plus bas prix, après avoir fait le plus grand cas de moi ;
et on finit par me trouver des défauts, après m'avoir comblée d'éloges.
Le soir, par l'influence de la destinée ennemie, mes pétales se roulent
et se fanent ; et le matin, je suis pâle et desséchée.
C'est alors que les gens studieux, qui connaissent mes vertus, me
recueillent. Avec mon secours, ils éloignent les maux, apaisent les
douleurs et adoucissent les tempéraments secs.
Fraîche, je fais jouir les hommes de la douceur de mon parfum, du
charme de ma fleur, sèche, je leur rends la santé.
Mais combien parmi les fils des hommes qui ignorent mes qualités
intérieures et négligent de scruter mes vues de sagesse.
J'offre cependant un tel sujet de réflexion aux méditatifs qui, en
m'étudiant, cherchent à s'instruire ! Car ma manière d'être retient ceux
qui entendent la voix de la raison.
Mais je me console d'être si souvent méconnue, en voyant que mes
fleurs, sur leurs petites tiges, ressemblent à une armée dont les
voltigeurs, casqués d'émeraude, auraient orné de saphirs leurs lances,
et adroitement enlevé avec ces lances les têtes des ennemis.