A Malicounda, 10 ans après la déclaration d'abandon : On excise toujours les filles
Ecrit par SENEXTINFO,
le 07-08-2007
A Malicounda Bamba où a été lue, pour la première fois, la déclaration
d’abandon d’excision, on continue d’exciser les filles. On n’attend
plus qu’elles aient 10 ans ou plus pour le faire, c’est dès la
naissance, avant même leur baptême, qu’elles passent entre les mains de
l’exciseuse.
(Envoyée spéciale) - Village situé à 5 km de Mbour,
Malicounda Bambara est une localité essentiellement peuplée par les
Bambara. Une communauté dans laquelle, la pratique de l’excision est
bien ancrée dans la tradition. Loin des festivités des dix ans
d’abandon de l’excision qui s’y déroulaient le week-end dernier, quatre
fillettes âgées entre 3 et 5 ans, pieds nus, cheveux nattés, jouent
sous un grand acacia, sous l’œil vigilant d’une vieille dame. Elles, ce
sont de petites Bambara. Des fillettes joyeuses, pleines de vie.
Elles ressemblent à toutes les filles de leur âge. Elles ne sentent pas de
différence avec les autres, ne se rendent nullement compte que, dès
après leur naissance, alors qu’elles n’avaient pas encore été
baptisées, un grand fossé les a séparées des autres enfants de leur
âge. Parce qu’elles ont été excisées dès leur naissance… dix ans après
‘l’historique’ déclaration publique d’abandon de l’excision.
La vieille dame sous l’œil de laquelle elles jouent insouciantes, c’est
l’exciseuse Fatou Traoré. Elle a arrêté cette pratique, non pas parce
qu’elle a fait sienne la déclaration d’abandon d’il y a dix ans, mais
parce qu’elle est malade. Selon elle, ‘jamais, on n’arrêtera de
pratiquer l’excision à Malicounda Bambara’. Et pour que l’excision
puisse continuer d’être pratiquée dans la plus grande discrétion,
beaucoup de ruses ont été mises en œuvre. La praticienne Fatou Traoré
renseigne que, désormais, ‘c’est aussitôt que l’enfant naît qu’on
l’excise. Ainsi, avant même le jour de son baptême, la plaie a déjà
fini de guérir’. C’est ainsi qu’elle raconte : ‘Il y a deux ans, j’ai
excisé des filles, en l’absence de leur mère parce que cette dernière
était réticente. On les a gardées dans une chambre pendant deux jours
sous prétexte qu’elles avaient le paludisme. Et lorsqu’elles ont guéri,
leur mère n’a pu percer le secret.’
Des femmes continuent de faire exciser leurs filles à Malicounda et dans les
villages environnants. Parfois, les mamans font exciser leur bébé et
pour ne pas éveiller des soupçons, elles prétextent que l’enfant est
malade et qu’elle doit être consultée à Mbour. Ainsi, elles quittent le
village pour deux à trois jours, le temps que l’enfant se remette de
son excision. Et contrairement à ce qui se dit, explique la dame Fatou
Traoré, les objets utilisés pour l’opération sont toujours stérilisés.
‘Nous prenons la peine de laver proprement la jeune fille avant de
l’exciser avec des ciseaux non souillés. De plus, après l’excision, à
usage d’antibiotique, on enduit la plaie de poudre de feuilles de
‘tabanani’ et de ‘nep-nep’. Cela accélère également la cicatrisation’.
La pratique de l’excision est, selon les écrits, antérieure au
christianisme et à l’islam. Tradition profondément encrée dans la
culture bambara, sarakholé et chez les Pulaar du Fouta, l’excision
consiste à faire une ablation du clitoris et parfois des grandes et
petites lèvres. Après l’ablation, les praticiennes, qui appartiennent
le plus souvent à la caste des forgerons, usaient de plantes
médicinales pour guérir la plaie et obstruer l’orifice du vagin afin
que la jeune fille puisse garder sa virginité jusqu’au mariage. Aussi
la fille non excisée ne pouvait être épousée par les hommes appartenant
à la communauté Bambara. Car elle était considérée comme impure.
Natif de Malicounda Bambara, Sidy Diambaly, 68 ans, a fait exciser toutes ses filles pour perpétuer la tradition. Selon lui, il faut toujours garder
la tradition. Les complications dont on impute la cause à l’excision
est la cause, ne sont que balivernes à son avis : ‘Il y a toujours eu
des femmes stériles, excisées ou non, et si cette affirmation était
vraie, on ne parlerait plus de la communauté Bambara.’ Aujourd’hui,
ajoute-t-il, ‘si j’ai la possibilité de faire exciser mes petites
filles, je le ferai’.
Dans la société traditionnelle, les exciseuses recevaient de la part des familles, en guise de rémunération, du mil, du savon de karité et un pagne blanc.
Or, pour la sexagénaire Yaye Amy Sow du village de Ngerigne, ‘recevoir
2 000 francs Cfa, du savon et un pagne ne vaut pas la peine de risquer
d’être emprisonnée’. Car, raconte t-elle, l’arme de la justice que
Tostan brandit, a effrayé les praticiennes de son village. Ainsi, elles
ont préféré arrêter la pratique de l’excision plutôt que d’avoir maille
à partir avec la justice.
Autrement dit, des exciseuses ont abandonné cette pratique par peur plutôt que par conviction.
Par contre, ce jeune homme, habitant le village de Malicounda et professeur
d’histoire et de géographie, estime que ‘l’excision est un des piliers
de la tradition Bambara et il faut défendre la tradition’. Dans la
société Bambara, chacun a un rôle à jouer et la pratique de l’excision
était le domaine réservé des femmes. Et parce qu’elle était un sujet
tabou, elle se faisait dans le plus grand respect de la dignité de la
femme. Aussi déclare-t-il que ses enfants seront excisés comme l’ont
été ses ‘sœurs’.
Khady BAKHOUM (Stagiaire - walf)