Au pays de Heli et Yoyo
Le paradis perduL’histoire se passe dans la Wâlo, au pays mythique de Heli et Yoyo où l’on ignorait ce qu’était passer une nuit sans souper. En ce pays, rien ne manquait : fortune, bétail ou céréales, tout s’y trouvait en abondance.
On n’y connaissait aucun soucI. La mort y était rare, la progéniture nombreuse, la maladie inconnue.
Tout le monde était en bonne santé. Même les vieillards à la tête chenue conservaient leur vigueur ; ils ignoraient la fièvre, la toux et la décrépitude.
Le cheptel lui aussi ignorait la maladie.
Point de diarrhées épuisantes, point de maux de poumon, point de mouches
piquantes. Dans les champs, les acridiens ne dévastaient point les récoltes.
En ce pays béni où la mort était rare et les
« connaisseurs » nombreux, la pauvreté était chose inconnue. Celui
qui ne possédait que deux troupeaux inspirait la pitié, on le disait miséreux.
A Heli et Yoyo, seules les sauterelles venaient glaner les champs après la
récolte.
Tel était le pays où les Peuls vivaient
riches et heureux !
A l’horizon se profilaient des crêtes de montagne dont les courbes s’enchaînaient et se chevauchaient harmonieusement. Les vallées inondables regorgeaient de grandes mares poissonneuses couvertes de
n’nuphars aux fleurs épanouies, aux graines aussi nombreuses que des grains de mil et aux baies succulentes, si douces qu’elles n’écorchaient point les gencives.
Dans la haute brousse, les biches gracieuses et les grands buffles majestueux vivaient en aix car on n’y connaissait point de fauves et les cités n’abritaient point de chasseurs.
Le pays était tant aimé de Guéno que si la lune, boudeuse, abandonnait son logis, disant « je ne reviendrai pas « , des étoiles brillantes apparaissaient, trouant le ciel à la façon d’un couscoussier, afin d’illuminer l’espace et les logis des hommes.
Dans le Wâlo, les puissants fromagers côtoyaient les larges baobabs, comme pour regarder ensembles les grands caïlcédrats étendre leurs branches volumineuses dont on tirait un bois d’œuvre précieux.
Les plaines fertiles y étaient aussi vastes que l’espace céleste.
On ne pouvait dénombrer les rivières et les cours d’eau qui arrosaient la terre en ondulant.
Ici, des bancs de sable dévalaient jusqu’au fleuve comme pour s’y nettoyer.
Là, des collines boisées, peuplées de myriades d’oiseaux, venaient plonger leurs pieds dans les eaux, comme pour se laver les jambes jusqu’aux genoux.
Leurs doux vallonnements épousaient les méandres des rivières, semblant accompagner les vagues jusqu’à leur domicile nuptial.
La nature ayant horreur de l’uniformité, parfois des barrages de pierre paraissaient vouloir empêcher les cours d’eau de poursuivre leur chemin vers leur destination finale : le grand lac salé.
Mais l’eau, cet élément-mère sans âme, est l’incarnation même de la patience et de la force. Quand un obstacle lui barre le chemin, elle s’élève d’abord sans se presser jusqu’à le recouvrir ; puis elle bondit, dispersant un nuage de gouttelettes au point de faire croire à la venue d’une gatamare, la première tornade de l’année. Une partie de ce nuage d’eau s’évapore en fumée, mais une fumée qui ne bouche pas les narines et n’empêche point de respirer ; le reste se rassemble en contrebas, formant à nouveau une belle bande blanche qui reprend sa route et roule vers son but, grignotant ses berges et excavant son lit pour augmenter son envergure.
Aux abords des cours d’eau, la fumée d’eau adoucissait si bien l’atmosphère que quiconque s’en approchait sentait son corps se rafraîchir et éprouvait, le moment venu, une irrésistible envie de dormir, à en piquer le nez !
Bref, le pays était si agréable que l’étranger qui y mettait le pied en oubliait de retourner chez lui !
Les griots de Heli et Yoyo ont chanté en long et en large ce merveilleux pays. Ils l’ont appelé le « pays septénaire », car sept grands fleuves y serpentaient à travers sept hautes montagnes tandis que l’on comptait sept grandes plaines sablonneuses dont les belles dunes dévalaient comme des vagues pétrifiées.
Outre l’amandier, les arbres fruitiers qui peuplaient la brousse présentaient sept espèces dominantes : l’acacia à fruit comestible, les palmier-dattier dont les grappes serrées fournissaient un fruit plus doux que le meilleur des miels ; le jujubier dont un seul fruit pouvait emplir la bouche la plus démesurée ; le tamarinier dont le fruit soigne toutes les maladies imaginables ; le rônier dont un seul fruit pouvait rassasier un éléphant. Quant au figuier, tenter de décrire ses fruits serait minimiser leur valeur. Enfin, oui, oui ! au pays de Heli et Yoyo chaque arbre de karité donnait assez de beurre pour nourrir tout un quartier de village pendant un an ! Ces sept arbres bénis produisaient à foison des fruits que l’on pouvait cueillir tout au long de l’année.
En ce pays, le beurre n’était pas rare ; on le tirait non seulement du karité mais aussi de l’arbre m’pegou, sans parler du beurre crémeux fourni par les vaches opulentes. L’arachide des plaines et les sardines des fleuves fournissaient toute l’huile nécessaire.
Quant au miel à la saveur délicieuse, il était si abondant qu’il ne se vendait
pas.
Dans les lougans de famille ou les petits lougans individuels, on récoltait des citrouilles et du maïs, de grosses courges, des pastèques douces et des haricots à gros grains délicieux.
Citrouilles et haricots rampaient et se chevauchaient les uns les autres si généreusement qu’ils en venaient à recouvrir en toutes saisons les toits de chaume, au point d’empêcher la fumée de les traverser pour se répandre dans l’atmosphère.
Dans chaque cité, dans chaque petit village se faisaient écho les cris des poules-mâles. Les aboiements des chiens y étaient aussi mélodieux que des sons de trompettes, le braiment des ânes n’y offensait point le tympan. Les bœufs mugissaient comme pour attirer l’attention sur leur beauté et leur corpulence. Quant aux bêlements des boucs sollicitant leur femelle, on aurait dit un concert de belles voix humaines.
Oui, c’était le pays où, pour réveiller les habitants, le braiment harmonieux des ânes répondait à l’appel agréable des coqs tandis que résonnaient les cris des oiseaux nocturnes retournant dans leur nid.
A Heli et Yoyo, point de chauve-souris aveuglée par la lumière naissant du jour, allant tout étourdie s’accrocher dans les épines !
Les termites de Heli et Yoyo grignotaient les tiges des céréales, non leurs
épis : ils ne rongeaient pas les affaires des hommes.
En un mot, rien, dans ce pays, ne pouvait causer de mal. Ni venin de scorpion ni venin de serpent n’y tuèrent jaais, pas même n’y provoquèrent la moindre enflure.
Le ciel du pays de Heli et Yoyo était semblable à la première salive de l’indigo, du bleu le plus tendre.
La brise y était douce,
Le cheval magnifique
Et la fille bien belle.
Le voyageur y découvrait, au fil de ses randonnées, des demeures dont chacune était plus agréable que la précédente.
Guéno y faisait pleuvoir abondamment, mais les pluies n’y gâtaient ni la récolte ni le fourrage qui y poussaient dru.
Les tornades ne provoquaient pas de coups de tonnerre. Jamais la foudre n’y avait gâté quoi que ce soit : elle n’avait pas brûlé l’arbre, encore moins incendié la maison. En ce pays, tout mal était inconnu.
Koulou diam, koulou diam !
Koulou diam, ma Guéno !
Gloire à toi, gloire à toi !
Gloire à toi, Eternel !
Ta grâce était largement répandue sur cette terre qui n’était pas une terre de petite importance !
C’est le prophète Salomon lui-même, dit-on – dont l’épouse Balqis, la Reine de Saba, est considérée comme la tante des Peuls – qui traça les plans de Heli et Yoyo. Les génies qu’il avait asservis y accomplirent maintes merveilles et leur travail, certes, ne fut pas petit.
Oui, c’est dans ce pays paradisiaque qu’habitaient les descendants de Hellêrè, fils de Bouytôring, ancêtres des Peuls et possesseurs de grands troupeaux !
Les silatiguis, qui ont beaucoup observé, étudié et compris, ne sont pas tous d’accord sur le lieu où se trouvait le pays de Heli et Yoyo. D’aucuns l’ont situé à l’est de la mer Rouge, dans le pays de notre Tante Balqis, la Reine de Saba. D’autres affirmèrent qu’il se trouvait à l’ouest de la mer Rouge, entre le pays des Habasi (Ethiopie) et le pays du Pharaon roi de Misra (Egypte).
Ce conte n’a pas pour but d’établir la véracité ou la fausseté de ces paroles. De toute façon, mille et mille personnes diraient-elles que le mensonge est vérité, le mensonge restera le mensonge ! Mille et mille diraient-elles que la vérité est mensonge, la vérité restera la vérité !
Ce conte fut conté pour instruire les Peuls, afin qu’ils n’oublient pas les événements lointains qui ont causé la ruine de leurs ancêtres, leur émigration et leur dispersion à travers les contrées ; afin qu’ils connaissent leur pays d’origine en ce monde, même s’ils ne peuvent le situer dans l’espace ; afin qu’ils sachent pourquoi on les a repoussés, pouquoi ils errent en tous lieux et sont devenus de perpétuels campants-décampeurs, des honnis que l’on installe en bordure des villages, mais des honnis qui ont vite fait de frapper de leurs lances ceux qui les dédaignent, de réduire en esclavage ceux qui les offensent et de stupéfier les princes qui les méprisent.
Quant on réduit un Peul en esclavage, il accepte et sait patienter jusqu’au jour où il est sûr de prendre sa revanche.
Les Peuls n’acceptent pas d’être importunés.
Si on les malmène, ils commencent par brûler leur case de paille, pour bien
montrer qu’ils n’ont rien à perdre, puis ils incendient celle de leur ennemi.
Ils blessent, ils tuent, puis ils quittent le pays avec leur troupeau car rien
ne les retient nulle part.
Plus vagabonds que le cyclone, ils vengent leurs torts sans faire de bruit. Ils aiment l’honneur et la considération parfois plus que leur vie. Celui qui touche à un Peul, que ce soit pour la paix, sinon il trouvera son compte !
Les Peuls n’ont point de houe. C’est avec les sabots de leurs chevaux qu’ls creusent les poquets dans la terre.
Le bâton des Peuls est plus meurtrier qu’un fusil.
Ce qui déclenche leur colère, c’est de toucher à leur troupeau qui est leur richesse, où à la parure de leurs femmes, qui est leur honneur. A celui qui s’en approche, ils feront mordre la terre.