Les Etats de l’Uemoa appliquent
les réformes nécessaires « à hauteur de 52% » par Falila Gbadamassi, le 20 / 02 / 2010
Le 14e sommet de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa) démarre ce samedi à Bamako, la capitale du Mali qui assure la présidence de l’Union. Où en sont les pays membres quant à la mise en œuvre des réformes qui permettront à l’Uemoa d’être un véritable outil d’intégration sous-régionale ? Entretien avec Eloge Houessou, directeur de la Surveillance multilatérale à la Commission de l’Uemoa.L’Uemoa regroupe huit Etats membres de l’Afrique de l’Ouest ayant en partage l’usage du F CFA : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Il a été créé par un traité signé le 10 janvier 1994 à Dakar, au Sénégal, qui est entré en vigueur le 1er août de la même année. L’union douanière est effective depuis le 1er janvier 2000 dans tous les états membres. La zone Uemoa est un territoire d’une superficie de 3 509 600 km² qui compte 80,3 millions d’habitants
Afrik.com : Les Etats-membres de l’Uemoa appliquent-ils les réformes pour faire de l’union une réalité ?
Eloge Houessou : Nous appliquons les réformes à hauteur de 52%. En 15 ans, le rythme est lent mais il y a tout de même matière à satisfaction. La coordination des politiques s’exerce et les institutions de l’Union fonctionnent. A la décharge des Etats, l’application de certaines mesures sont contraignantes. Certaines nécessitent une révision constitutionnelle et il faut donc attendre les
périodes adéquates pour que les autorités concernées soient assez vigilantes pour introduire les modifications souhaitées. Cependant, 15 ans suffisent-ils pour faire un bilan ? Nous en avons fait un à
mi-chemin. Nous espérons que dans 5 ans, quand nous aurons 20 ans d’existence, nous arriverons à 80% d’exécution des réformes communautaires. C’est possible parce que la volonté politique existe.
Etat de la mise en œuvre des réformes (décembre 2009). Source : Uemoa
Afrik.com : Que représente une union douanière pour des pays en voie de développement comme les Etats membres de l’Uemoa ?
Eloge Houessou : Dans le contexte qui est le nôtre, c’est important. Nos Etats membres jouissent de larges superficies pour des populations de taille réduite. Pour étendre le nombre de consommateurs
et permettre la réalisation d’économies d’échelle, il faut aller vers un espace plus élargi. C’est ce que l’Uemoa tente de faire avec un marché commun de plus de 80 millions de personnes. Maintenant, il faut que les produits puissent circuler. C’est la bataille que nous livrons afin que les points de contrôle soient réduits à l’intérieur des Etats. Quand un produit est fabriqué et qu’il a dû mal à circuler, il revient très cher pour le consommateur. Il devient moins compétitif que ceux produits à
l’extérieur de la zone Uemoa. Les bénéfices des entreprises baissent, entraînant la chute de celles de l’Etat et des pertes d’emploi au sein de l’union.
Afrik.com : Il devrait y avoir au maximum un point de contrôle à l’intérieur d’un pays, entre deux postes-frontières...
Eloge Houessou : Les Etats estiment qu’il est primordial de garantir la sécurité. Malheureusement, les agents censés y veiller deviennent des agents de contrôle qui ne jouent même pas leur rôle.
Beaucoup d’armes et de stupéfiants circulent librement dans la sous-région. Ces agents laissent passer tous les véhicules, pourvu qu’ils reçoivent quelque chose. Le transporteur ne peut donc pas baisser ses frais, de même que la commerçante dont la marchandise est parfois visée lors d’un contrôle illicite. Résultat : tout le monde est perdant parce que ces faux frais sont répercutés sur la marchandise et finalement sur le consommateur. Sur l’axe Dakar-Bamako, long de 1020 km, il y 4 postes de contrôles au Sénégal par 100 km pour 4394 FCFA de taxes illicites perçues et 23 minutes de retard pris, selon un rapport de l’Observatoire des pratiques anormales (OPA) sur les corridors
inter-Etats.
Afrik.com : Les produits chinois auraient pu être moins compétitifs par exemple si le marché commun fonctionnait mieux et s’il y avait moins de tracasseries routières ?
Eloge Houessou : Si les produits circulaient normalement, une entreprise malienne qui fabrique un tissu pourrait espérer toucher un marché de plus 80 millions de consommateurs et faire les ajustements nécessaires pour concurrencer un textile similaire importé de Chine. La qualité serait en plus au rendez-vous.
Les tracasseries routières dans le collimateur de l’OPA
L’Observatoire des pratiques anormales (OPA) sur les axes routiers en Afrique de l’Ouest a été installé en 2005 par l’Uemoa, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(Cedeao), avec le soutien de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), du Programme des politiques de transport en Afrique sub-saharienne (SSATP) et du partenariat technique du centre ouest-africain pour le commerce (Wath). Il mesure l’impact des tracasseries routières sur les corridors inter-Etats de la zone : Tema-Ouagadougou, Lomé-Ouagadougou, Ouagadougou-Bamako et Bamako Dakar. L’OPA procède ainsi à une évaluation trimestrielle de la situation. « Au 2e trimestre 2009, les pratiques anormales se sont accentuées du fait de la crise. Les points de contrôle dans les corridors se sont démultipliés pour engranger plus de ressources puisque les camions se font rares sur les routes », explique Eloge Houessou. Cependant, l’enquête du 3e trimestre, publiée en novembre 2009, montre « une amélioration de la situation grâce à une politique de sensibilisation ».Tracasseries routières dans la zone Uemoa, source : OPA, du 1/07/09 au 30/09/09
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Afrik.com : Comment expliqueriez-vous à une vendeuse du marché de Dantopka, au Bénin,
qu’elle tire profit de l’Union ?
Eloge Houessou : L’exemple est intéressant parce que le marché de Dantopka est devenu un marché régional. Elle " vit" l’Uemoa sans malheureusement toujours en être consciente. Il y a donc besoin
d’une sensibilisation pour qu’elle sache que le chiffre d’affaires qu’elle réalise n’est pas seulement dû à ses compatriotes.
Afrik.com : L’Uemoa milite pour qu’un étudiant bénéficie aussi des mêmes droits que les nationaux quand il va s’inscrire dans un autre pays de la sous-région. Cela semble
inédit ?
Eloge Houessou : C’est le marché commun et nous sommes maintenant à l’heure de la libre circulation des personnes, des corporations... Un étudiant peut avoir un parent qui se déplace dans un des pays de la zone pour des raisons professionnelles ou autres, il faut donc promouvoir un traitement égalitaire. Il s’agit de favoriser une réelle mobilité des personnes au sein de la sous-région.
Afrik.com : Depuis octobre 2009, les membres de l’Union devaient en principe reconnaître le visa émis par un autre Etat pour les citoyens non-ressortissants de la zone. Ce qui
n’est toujours par le cas. Une étape indispensable vers l’instauration d’un visa unique en 2011. Ou en est-on ?
Eloge Houessou : Nous avons bon espoir que les administrations seront sensibilisées afin que cet instrument voit très vite le jour. C’est l’un des problèmes qui sera posé lors de ce 14e
sommet. Nous avons l’ambition de faire de l’Uemoa un espace unifié. Pour cela, il faut que les entraves du type "un visa par pays" puissent être levés.
Afrik.com : Quel est l’un des autres chantiers prioritaires l’Union ?
Eloge Houessou : L’environnement. Plusieurs de nos Etats ont été frappés par des inondations. Ce qui remet à l’ordre du jour la question de la gestion de l’environnement et de l’écosystème. Nous avons une politique de l’environnement depuis 2008. Il va falloir renforcer les mesures qui ont été prises dans ce cadre et mettre en place, si possible, un mécanisme de soutien aux pays qui seront frappés par des catastrophes naturelles. Car elles peuvent atteindre des zones de production et mettre en danger la croissance de nos Etats, et par voie de conséquence l’intégration régionale.
Afrik.com : L’Uemoa est cité en référence comme la structure intégrationniste qui marche le mieux sur le continent africain. Pourquoi réussit-elle mieux que les autres ?
Eloge Houessou : Peut-être parce l’échelle est plus réduite, que l’on ne s’occupe pas de problèmes de sécurité, que l’économie est notre champ d’action prioritaire ou encore que nous mettons l’accent sur la solidarité. Ce qui est essentiel pour le Traité. Quand un pays est en danger, nous menons une politique discriminante pour permettre à ce pays d’avancer. Par exemple, l’aider à surmonter un
déficit pour obtenir l’aide du Programme alimentaire mondial au bénéfice de ses populations.