La légion à Moustapha
Moustapha Alassane, considéré comme le doyen du
cinéma d’animation en Afrique a été décoré jeudi 24 mai 2007 de la
médaille de la légion d’honneur française, dans le pavillon des
« Cinémas du Sud » à Cannes. Il devient ainsi le premier africain à
recevoir une si haute distinction sous l’ère Sarkozy, président
français nouvellement élu.
(CANNES, ENVOYE SPECIAL)-
« Je constate que ce vous venez de faire pour moi est plus un geste, en
direction de mon pays le Niger et de toute l’Afrique. Aux jeunes
cinéastes, je dis que tous ceux qui persévèrent, finissent par recevoir
une récompense, une reconnaissance ».
Les yeux embués de larmes de bonheur, dans son modeste
boubou qui enveloppe son humilité et sa discrétion, Moustapha Alassane
n’a pas fait étalage de toute cette joie qui remplissait son cœur au
moment de recevoir sa médaille. Il s’est contenté de jeter un bref
regard sur le rétroviseur de sa vie pour simplement dire : « Je
regrette que Jean Rouch et Jean Debrix ne soient pas là, car ils
étaient présents à l’aube du cinéma africain ». En de telle
circonstance évoquer le nom de Jean Rouch cinéaste documentariste et
ethnologue, qui lui a glissé le pied dans l’étrier du cinéma, traduit
toute l’amitié et l’admiration que Moustapha Alassane vouait à cet
homme. Bien avant de recevoir sa médaille, dans l’interview qu’il
m’avait accordée, il évoquait les circonstances de la mort de Jean
Rouch avec qui il était en voiture pour Tahoua au nord du Niger, lieu
que ne connaissait pas le cinéaste ethnologue : « Ce jour-là, en allant
à Tahoua, Jean me répétais : ‘’Où va-t-on là ? Je répondais : A Tahoua.
Il rétorquait : ‘’Non ! Nous allons vers l’au-delà » et en moins de dix
minutes survint l’accident. Il était mort » A 65 ans, Moustapha
Alassane demeure un artisan dans le septième art. Il n’ a jamais le
réalisateur au long cigare allant jusqu’à s’interdire de porter le
smoking de rigueur lors de la montée des marches qu’il a effectuées
cette année. Il n’était pas non plus en grand boubou richement décoré.
Loin des feux de la rampe dans sa ville de Tahoua, il poursuit son
cinéma d’animation, dessinant lui-même ses personnages.
Aux techniques modernes du cinéma
Aujourd’hui, il dit que les sirènes du cinéma sont
venues chanter en son oreille. Irrésistibles chants qui l’ont attiré
sur les rivages d’une profession qu’il avait toujours rêvée
d’embrasser. Il était mécanicien avant de rencontre sur sa route Jean
Rouch qui l’a initié aux techniques modernes du cinéma. Ce serait,
hérésie de croire que c’est Jean Rouch qui lui inoculé le virus du
septième art. Tout jeune, dans son quartier, il avait bricolé les
éléments d’un cinéma d’ombres. Il dessinait des animaux qu’il agitait
sous la lueur d’une lampe-tempête. Il simulait des combats. Pas de
commentaire sur l’histoire qu’il mettait en scène, mais plutôt des
explications pour anticiper sur ce qui allait être vu, laissant intact
l’imaginaire de son public composé de camarades d’école et de quartier.
La petite notoriété dont il jouissait, eut l’effet d’imposer un
concurrent.
Le jeune Moustapha Alassane sortit alors sa botte
secrète, celle de mettre de la couleur sur ses personnages. Le cinéma
d’ombre colorée était né. Plus tard la formation à la technique
cinématographique que lui assura Jean Rouch lui permit de se lancer
dans la vraie réalisation de film avant de se rendre au Canada pour se
perfectionner en technique de cinéma d’animation. La rencontre avec
Norman MacLaren va renforcer sa conviction que le cinéma d’animation a
bel et bien un
avenir en Afrique. Il creuse son sillon dans cette direction ce qui
vaut à son premier film d’animation « La mort de Gandji », l‘antilope
d’argent au premier
Festival Mondial des Arts Négres en 1966. Mais déjà son premier
court-métrage « Aouré » (le mariage) qui mettait à jour les rites et
coutumes dans le mariage au Niger avait été primé dans des festivals en
France, en 1962. « Le retour d’un aventurier », une parodie de western
créa la surprise et alimenta les discussions sur les dangers du
mimétisme de genres cinématographiques propres à l’Occident, pour un
cinéma naissant qui cherchait sa propre voie.
Ce sera « FVVA » (Femme Villa Voiture Argent) qui va
révéler au grand public le réalisateur qu’est Moustapha Alassane.
L’accueil populaire de ce film dans beaucoup de pays au Sud du Sahara
installa le titre du film dans le langage courant des jeunes de
l’époque. Le film mettait en garde contre la soif du pouvoir et
l’arrivisme. Une critique au vitriole des comportements des nouvelles
classes dirigeantes qui singeaient le colonisateur. La filmographie de
Moustapha Alassane est riche d’une trentaine d’œuvres composées de
films d’animation, de fiction, de documentaires ethnographiques.
Après sa décoration, la Guilde des réalisateurs
africains présente à Cannes a offert à Moustapha Alassane un spectacle
avec projection de courts films et une performance de la chinoise Lita
ChowYuen accompagnée dans sa bulle par le percussionniste béninois Ado.
Un moment d’intenses émotions et de fraternité.