A quoi reconnaît-on un malade de la lèpre ? Des stigmates ravageurs sur la peau, des séquelles invalidantes, des corps dégingandés qui portent les marques ruineuses d’une maladie ruineuse... Mais, surtout, cette posture misérabiliste qui fait du lépreux un banni de la société, un laisser pour compte réduit à la mendicité. Cette dernière image, quoi que caricaturale, est pourtant l’image la plus tenace que les années de dure combat contre le bacille de … n’ont pu gommer. Elle rappelle, de façon brutale, que la lèpre est toujours présente.
Dans l’imagerie populaire, marquée par la recrudescence des pandémies telles le sida, la tuberculose, la lèpre fait bien partie des maladies du passé.
L’âge souvent avancé des personnes atteintes, la rareté des nouveaux cas, tout cela a fini par confiner la perception de la lèpre à une réalité bien lointaine. Et pourtant… Même si les statistiques officielles démontrent que la maladie a reculé, il reste que le bacille de la lèpre, d’après les spécialistes, continue de circuler. En 2007, on a recensé jusqu’à 254 000 nouveaux cas dans le monde dans 118 pays. Au Cameroun, On parle encore de 530 cas recensés en 2009. De quoi susciter un regain de vigilance dans la prise en charge des cas. Ce à quoi le ministère de la Santé publique semble s’employer depuis 2007. Mais le problème fondamental, ce n’est pas tant la prise en charge clinique des malades que la marginalisation dont sont victimes les personnes atteintes de la lèpre.
Les responsables de la santé publique ont beau jeu de dire que la lèpre n’est plus un problème de santé publique au Cameroun, il n’en demeure pas moins vrai que cette maladie reste un problème social pour le moins préoccupant, les politiques de prise en charge de la lèpre n’ayant pu gérer au mieux la transition. Aussitôt que les chiffres de la lèpre ont commencé à baisser, les regards se sont vites déportés ailleurs - sans doute vers d’autres urgences - sans que jamais les politiques de santé ne s’intéressent véritablement à une meilleure socialisation de la maladie.
Aux yeux de la société, en effet, les malades de la lèpre ne sont rien d’autre que de simples parias. Et le confinement jadis des malades dans des léproseries n’a en rien aidé à mieux intégrer les lépreux dans les communautés. Pas plus que les politiques d’assistance publique à ces personnes n’a été des plus efficientes.
Pendant longtemps en effet, les lépreux ont été considérés comme des personnes à qui il fallait tout donner, plutôt que des les impliquer dans leur propre prise en charge. Il en a résulté une sorte de dépendance qui, du reste, n’est pas étrangère à la mystification que la société semble entretenir vis-à-vis de la lèpre. Finalement, une maladie trop singulière, trop mystérieuse, un peu trop dégénérescente pour être acceptée.
C’est vrai que la lèpre, du moment où elle a commencé à être éliminée à travers le monde, a rapidement été éclipsée par la montée du sida, de la tuberculose et du paludisme, qui drainent l'essentiel des financements. Aujourd’hui, la lèpre est orpheline, et seul l’opiniâtreté de quelques associations permet encore de garder l’éveil sur cette maladie dite des pauvres. Naturellement, la lèpre ne suscitant plus la même attention qu’il y a 30 ans, et les politiques ne pouvant lever autant de financements pour elle que pour le sida, on comprend, finalement, le peu d’attention dont font l’objet les malades de la lèpre.
Par Roger A. Taakam - quotidienmutations.info