'La liberté de critique des religions est absolument fondamentale'
Souleymane Faye s’entretient avec DOUDOU DIENE, rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme...
DAKAR, 11 juin (IPS) - L’UNESCO a organisé à Dakar un récent séminaire sur ''le dialogue interreligieux et les traditions spirituelles'', avec la participation d’experts en religion et de chefs religieux venus du Bénin, de Côte d’Ivoire, de Gambie, du Ghana, du Nigeria et du Sénégal. Doudou Diène, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance, a pris part à cette rencontre tenue les 8 et 9 juin dans la capitale sénégalaise.
En marge du séminaire, Diène a accordé un entretien à Souleymane Faye, l’un des correspondants de IPS au Sénégal. Diplômé d’un doctorat en droit public et de sciences politiques, Diène avait occupé auparavant plusieurs fonctions à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
IPS: Existe-t-il une région, dans le monde, qui est un modèle en matière de dialogue interreligieux?
Doudou Diène (DD): Aucune région du monde ne constitue un modèle dans le dialogue interreligieux. Si vous regardez la carte des conflits religieux, vous verrez que toutes les régions du monde sont touchées. Depuis le 21ème siècle, depuis l’époque coloniale et même avant, la religion a été instrumentalisée. Cette instrumentalisation a traversé toutes les régions et tous les continents.
La problématique de la tension religieuse existe partout dans le monde. Il n’y a pas de modèle dans le monde. Mais, je peux dire, grâce à mon expérience de 20 ans à l’ONU, qu’il y a des régions qui ont une profonde culture de dialogue interreligieux. Parmi ces régions, je peux citer l’Afrique de l’ouest. Les religions traditionnelles de l’Afrique de l’ouest sont marquées par le principe de la sacralité de toute création. A partir du moment où une religion considère que tout est sacré, de l’arbre à l’humain, elle ne peut pas être à l’origine de séparation et de conflit. Cette dimension de la sacralité est très vitale en Afrique de l’ouest...
IPS: Quelles solutions préconise l’ONU pour résoudre les conflits religieux?
DD: Il y a plusieurs pistes à suivre, mais trois me paraissent plus importantes que les autres. La première, c’est la reconnaissance par tout le monde, mais surtout par les chefs religieux, de la gravité de l’image que les religions ont donnée à travers un certain nombre de conflits. Autrement dit, la réalité des conflits religieux doit être reconnue par les acteurs des religions.
La deuxième voie à explorer, c’est la continuité du dialogue sur les valeurs et les principes communs aux religions. Tous les conflits religieux, qui ont eu lieu par le passé, montrent que les religions ne se connaissent pas en profondeur. Les unes n’ont pas une connaissance profonde du message fondamental des autres. La troisième solution, c’est la promotion des interactions entre les religions. Il s’agit d’amener les religions à pratiquer, dans le champ social, les valeurs qu’elles ont en commun, de mettre en pratique, ensemble, ces valeurs fondamentales. Il s’agit aussi de travailler ensemble sur le territoire du social : la pauvreté, les droits humains, le sous-développement, les inégalités entre les sexes, les discriminations...
IPS: Doit-on critiquer une religion au nom de la liberté d’expression?
DD: Absolument! J’ai fait des rapports précis sur la diffamation des religions. Le malentendu qui a divisé les pays et a été un des verrous de la conférence de Genève sur le racisme, c’est l’idée que la diffamation des religions voulait signifier l’impossibilité de la liberté d’expression et de la critique des religions. J’ai toujours indiqué dans mes rapports que la diffamation des religions doit être séparée de la libre critique des religions.
Les religions sont des phénomènes complexes, certes, mais aussi des phénomènes humains. Etant des phénomènes humains, les religions, dans leur parcours, ont dévié de leur message originel et se sont soumises à des pratiques pas conformes à leur message originel. C’est donc légitime de les interroger de façon critique et de comparer leur message originel avec celui d’autres religions. La liberté de critique des religions est absolument fondamentale. C’est par cette démarche critique qu’on renforce la foi. La foi, dans certaines religions, n’est pas aveugle, elle est lucide et critique.
IPS: Certains disent que des organisations défendent l’image et les principes des religions. Pour ces gens-là, c’est seulement l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui dénonce, de mauvais droit, l’islamophobie. Partagez-vous cette observation?
DD: Non. Ceux qui disent cela font une assertion pas crédible. Cette assertion est fausse. Par exemple, l’islamophobie est une réalité. On ne peut pas la nier. Elle a été affirmée par des dirigeants occidentaux. L’islamophobie n’est pas récente. Elle date des premières années de l’existence de l’islam.
IPS: Dans certains pays comme le Sénégal, des religions comme l’animisme ne sont pas considérées quand on évoque le dialogue interreligieux. A-t-on raison d’oublier ou de négliger ces religions?
DD: Cet oubli de certaines religions est une réalité dans beaucoup de pays. Le dialogue interreligieux a été réduit pendant longtemps aux trois religions monothéistes abrahamiques du livre : l’islam, le christianisme et le judaïsme. Cette démarche est celle des gens qui réfutent l’existence de religions traditionnelles en Afrique et diabolisent les pratiques spirituelles africaines.
Dans certains pays, des gens se sont donné une vision négative de certaines pratiques ou traditions spirituelles, lesquelles ont été marginalisées par certains leaders des religions monothéistes comme l’islam. Ce n’est pas le cas dans des pays comme le Nigeria ou le Bénin, où le culte vaudou et d’autres traditions spirituelles ont été plus forts.
IPS: Le dialogue interreligieux est-il en train de se dérouler, globalement, dans le monde?
DD: Tous les conflits auxquels nous assistons aujourd’hui sont des voies vers le dialogue. Les conflits religieux ont ouvert de nouveaux champs à des religions. La violence de l’islamophobie dans certains pays occidentaux a suscité l’intérêt pour l’islam. On n’a jamais vu un succès de librairie aussi grand que celui des livres écrits sur l’islam, en Occident maintenant... Cet intérêt pour l’islam s’accompagne d’une conversion très profonde de citoyens occidentaux à l’islam. Et, l’attaque contre l’islam a emmené certains chefs musulmans de certains pays à revoir leurs pratiques et à les ouvrir au reste du monde, pour ne pas être critiqués.
IPS: Quels sont les pays ou parties du monde où le conflit religieux est le plus préoccupant pour l’ONU?
DD: La région qui me paraît la plus préoccupante, c’est l’Europe occidentale qui est traversée par une crise identitaire profonde. Cette crise identitaire a un lien avec le religieux, parce que les idéologues et les élites de l’Europe occidentale pensent que la racine de l’Europe est seulement chrétienne. C’est pour cela qu’ils s’opposent à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
C’est dans cette partie du monde qu’il y a une intolérance à l’égard de toutes les religions, mais surtout envers l’islam qui y est associé au terrorisme... Mais, c’est aussi sur la scène européenne que se développent des dialogues extrêmement profonds entre des personnalités religieuses de différentes traditions qui sont en train de faire avancer le débat d’une manière très féconde. Une autre région très sensible, c’est l’Amérique du sud où les élites du monde hispanique refusent de reconnaître les religions traditionnelles africaines et l’islam. (FIN/2009)