Mohamed Faye, Chanteur Albinos, oustaz et musicien.
(Le Salif Keïta Sénégalais)
vendredi 10 avril 2009Chanteur, albinos originaire de Fatick, Mohamed Faye veut une place dans la cour des grands. Inspiré par les succès de la star malienne Salif Keita, il affirme que les personnes qui souffrent d’un déficit de mélanine ont leur place dans la société moderne.
« Je n’ai pas dîné quand j’ai entendu que des Albinos sont tués au Burundi à cause des considérations purement barbares. J’étais abattu et ébahi. Comment un être humain peut-il faire face à son semblable et dire : quand j’enterre sa tête, j’aurai du diamant. Si tel est le cas, on peut avoir du diamant quand on enterre la tête d’un Blanc », s’indigne Mohamed Faye, artiste-compositeur.
Le visage masqué par des lunettes noires, la casquette noire vissée sur la tête, il est bien drapé dans un costume noir. Un style noir qui cadre avec le deuil qu’il vit, même s’il dégage une forme olympienne. Mohamed Faye ne peut cacher son amertume sur le calvaire que subissent les albinos du Burundi, assassinés à cause des croyances traditionnelles. Et cela à juste titre, car il partage avec ces derniers le handicap du déficit de mélanine.
M. Faye dénonce « ce génocide » et s’engage à mener la sensibilisation. « Je prépare un single pour dénoncer cette fausse croyance. Ce n’est pas vrai. C’est purement satanique », confie-t-il. Peur ou signe de solidarité à l’endroit des albinos ? Mohamed Faye estime que cette pratique ne peut jamais avoir lieu au Sénégal, « le pays de Cheikh Ahmadou Bamba, d’El-Hadji Malick, etc. ».
Mohamed Faye s’indigne contre « le mutisme » des organisations de défense des droits de l’Homme. A son avis, celles-ci doivent mener âprement le combat contre le massacre des Albinos.
Artiste musicien, Mohamed Faye est né en octobre 1967 à Poukham, une bourgade située à quelques encablures de Fatick. Il a débuté des études franco-arabes dans son village natal, avant de rallier Fatick puis Kaolack. Il devait rejoindre l’université « Al Azhar » du Caire après le passage dans le Saloum. Faute de moyens il est resté au pays pour soutenir sa famille.
« Ce sont mes parents qui payaient mes études. Ils n’avaient pas assez de moyens. Je ne pouvais plus continuer à être sous leur coupe », confie-t-il. Même si ses parents se sont battus pour faire de lui un oustaz (enseignant en arabe), ce métier n’était manifestement pas la destination privilégiée de Mohamed Faye qui avait sans doute l’esprit ailleurs. Il visait une carrière dans le show-biz. « Je comprends la mentalité des parents. Arrêter brusquement les études après les importants sacrifices qu’ils ont fait pour moi pouvait me mettre en mal avec eux », explique-t-il.
Un subterfuge pour vivre l’amour pour la musique s’imposait. D’où sa décision d’enseigner l’Arabe dans le Saloum pendant quatre ans. Une transition exaltante qui a facilité l’autorisation des parents pour sa carrière musicale.
Un oustaz devenu musicienOustaz Faye abandonne par la suite l’enseignement de l’Arabe et fabrique une guitare à base de bidon pour vivre sa passion. Son monde est surpris. Certains villageois sont allés jusqu’à penser qu’il était victime d’une punition des « pangols » (esprits chez les Sérères).
« Je ne pouvais pas expliquer aux gens ce qui m’était arrivé et jusqu’où je pouvais aller », confie-t-il. Pourtant son but pouvait se résumer ainsi : la passion de l’art.
Mohamed Faye créa alors un groupe qui s’appelait « Songo », du nom des bois sacrés de Poukham. C’était au début des années 90. Il animait les mariages et les baptêmes. Pour une première prestation, il empoche du thé et du sucre. Et 3.000 Fcfa pour son deuxième contrat. « Je commençais ainsi à réaliser que je suis sur la bonne voie », confesse-t-il, avec un petit sourire.
L’argent ne semblait pas être sa motivation première. « Je ne me faisais pas une fixation sur le prix. Ce qui était important pour moi, c’était de me faire un nom », explique-t-il, avant d’exulter : « dans le Sine, les gens m’appellent de partout pour des manifestations ».
L’amour du métier toujours en bandoulière, Mohamed Faye frappe aux portes de l’orchestre régional de Fatick. Il sort premier d’un test et devient le chanteur principal de l’orchestre. Après un bref passage à l’orchestre national, le jeune « Sine Sine » retourne à son village natal pour réapprendre dans le tas, à domicile, surtout pour renforcer son répertoire. En 1994, il prend contact avec l’orchestre Diakhanor, basé aux Hlm. Cette collaboration lui ouvre les frontières du Sénégal. Mohamed Faye participe avec le groupe au cinquantième anniversaire des Nations unies, à Genève. Et joue à Lausanne et dans d’autres villes suisses. Son premier album « Guelwar » est sorti sous le label de ce groupe. L’opus est un mélange de sonorités sérères et cubaines avec une importante dose de mbalax.
Malgré le succès de son album, Mohamed Faye quitter le « Diakhanor ». Même s’il s’abstient de faire des commentaires sur cette séparation, le natif de Poukham est manifestement animé de regrets. Mais cela ne freine en rien sa détermination à vivre son art. L’enfant de Poukham décide de faire une carrière en solo avec des prestations dans les hôtels et les grands restaurants dakarois.
Retour à Fatick. Une bonne nouvelle, le Programme d’appui aux initiatives culturelles finance des jeunes talents. Son projet choisi, Mohamed Faye enregistre un deuxième album : "Jaam Sénégal" (Paix au Sénégal).
Un mélange de salsa, de mbalax et d’acoustique. Le succès retentit à travers le Sine, le Sénégal d’une manière générale.
Le « Ndioup », le « Ndagadj » et les autres sons sérères sont affectionnés par Mohamed Faye. Mais force est de constater qu’il peine à exploiter tout ce potentiel comme bon nombre d’artistes du Sine. « Le Sérère a un riche répertoire. Mais les artistes éprouvent de la peine à sortir de l’amateurisme pour entrer dans le modernisme », analyse Bernard Diouf, un professeur de musique.
Musique acoustiqueCette remarque n’épargne pas Mohamed Faye qui s’efforce de sortir du lot en s’encrant dans l’acoustique. C’est pourquoi, il déplore la toute puissance du mbalax. M. Faye estime que les solistes, à part Lamine Faye, ne s’expriment pas convenablement dans leur musique, ajoutant qu’il est difficile de se faire produire avec l’acoustique.
L’expansion de la musique acoustique devient de plus en plus une réalité au Sénégal. Les Sénégalais commencent à l’épouser. D’où le satisfecit du natif du Sine. « Quand un peuple grandit, sa musique grandit en même temps », se réjouit Mohamed Faye qui salue le rôle des pionniers comme Souleymane Faye, Baaba Maal, Cheikh Lô, etc.
Les textes sont des données importantes pour vendre sa musique. Mohamed Faye privilégie l’amour pour atteindre les mélomanes. « Sans l’amour, il n’y a rien dans la vie », argumente-t-il. La paix, la scolarisation des jeunes, l’alphabétisation, la promotion de l’abstinence dans les relations sont des thèmes qui rythment son répertoire.
Le fait qu’il soit albinos a sans doute facilité sa percée dans le domaine de la musique. Certains le nomment souvent le Salif Keita sénégalais. Une appellation qui le galvanise. « Lors de mon dernier voyage au Burkina Faso, les gens me confondait avec Salif Keita. Nous avons des traits communs, c’est un albinos comme moi », explique-t-il. Même si Mohamed Faye n’a pas encore eu de contacts avec Salif Keita, il affectionne sa musique.
« Salif Keita fait partie des artistes qui me donnent confiance. Il a la personnalité, il se bat. Moi aussi, je fais de même pour démontrer qu’être albinos n’est pas un handicap. Il faut avoir un bon moral et se battre. Il n’y a pas une seule personne au monde qui vit sans handicap », souligne-t-il
Marié, père de trois enfants, Mohamed estime qu’il faut être fort mentalement pour résister aux clichés. « Les albinos ont un problème dermatologique, Dieu a fait que je n’ai aucune tache. Le reste, c’était d’être fort psychologiquement. Dans la vie, si tu crois en quelque chose, tu peux le devenir. Je ne me suis pas mis dans la tête que je suis un albinos ».
« Pouné », ce nom que les gens qui vivent le même handicap que lui rejettent souvent, ne le dérange pas. « Quand je passe dans les rues, les jeunes me disent « pouné », je réponds pour banaliser », fait-il remarquer.
Le Soleil