Le plomb tue à Thiaroye : Des entreprises indiennes financent une « industrie de la mort »
L’activité informelle d’exploitation de batteries automobiles usagées et de tamisage du sol pour la récupération de l’oxyde de plomb débuta, timidement en 1982, à Ngagne Diaw, un quartier niché dans Thiaroye sur Mer. Elle est partie, dit Macoumba Diop - un des représentants des populations de ce quartier lébou à l’atelier de partage sur le projet de dépollution du sol et de désintoxication des personnes contaminées par le plomb à Thiaroye, qui s’est tenu aujourd’hui à Dakar - de Nouadhibou (en Mauritanie) avant de descendre sur Saint-Louis pour se retrouver à Dakar. Son développement est favorisé par la pauvreté des habitants de Ngagne Diaw qui ne vivaient que de pêche et d’activités horticoles. Mais pour survivre à la crise du secteur de la pêche et aux conséquences de la pression foncière réduisant sensiblement le terrain d’activités agriculturales, ils ont trouvé exutoire à leurs peines. La solution était tout de suite trouvée dans le recyclage des batteries automobiles usagées et la vente du plomb. Quarante et une personnes à l’origine s’adonnaient à ce type d’activité financée par des tiers qui en tiraient le plus grand bénéfice. Avant que notamment en 1995, le travail d’extraction de plomb ne connaisse un coup de fouet dans la zone de Thiaroye sur Mer.
Entre les mois de décembre 2007 et février 2008, dix-huit (18) décès d’enfants âgés entre 0 et 6 ans ont été enregistrés dans la communauté de Ngagne Diaw. Selon le rapport introductif du ministère de l’Environnement, « les investigations menées entre mars 2008 et juin 2008 par des experts nationaux et internationaux, notamment ceux de l’Organisation mondiale de la Santé et de Blacksmith Institute, ont montré que la cause de ces décès est due à une contamination du quartier par le plomb ». Ces mêmes études ont révélé, d’une part, des niveaux de concentration de plomb dans le sol compris entre 20.000 et 200.000 ppm, voire à l’intérieur des habitations ( la norme d’habitation en France est de 400 ppm), et d’autre part, des plombémies dans le sang dépassant 700 micro-grammes/litre chez 68 % des enfants dépistés. Toutefois, a indiqué Pr Diouf du centre Anti-Poison de Dakar, « il est encore difficile de connaître la concentration de plomb dans le sol en profondeur et en latitude ».
Pour réduire le niveau d’exposition des populations, le ministère chargé de l’Environnement, avec le concours du ministère de la Santé, a procédé en mars 2008 à la collecte et à la sécurisation de 297 tonnes de déchets souillés au plomb, relève-t-on dans le rapport. Il reste que des mesures urgentes doivent être prises comme la délocalisation des populations, le temps de décontaminer la zone. Sur ce point, l’opposition des habitants de Ngagne Diaw est manifeste. Par la voix de leur représentant, Mademba Diaw, ils ont dit sur un ton ferme qu’ils ne comptent pas évacuer les lieux infestés. Selon eux - cette position a été partagée avec les participants à l’atelier qui s’est ouvert ce matin dans un hôtel de la place -, le dépistage et la décontamination peuvent être faits sans qu’on ait recours à une mesure de délocalisation.
Petit à petit, les représentants des populations du quartier sinistré de Ngagne Diaw se sont joints à l’idée d’un déménagement progressif mais entendent la soumettre à leurs mandats avant qu’une solution finale ne soit adoptée. Cela dit, le ministre de l’Environnement et de la Protection de la Nature, des Bassins de rétention et des Lacs artificiels a cru devoir associer les populations à la réflexion pour les extraire des risques de contamination au plomb. Ainsi, Djibo Leyti Kâ a donné instruction et demandé à MM Diop et Diaw de faire partie du comité interministériel sur la question.
Une étude conduite par les services du ministère en charge de l’Environnement indique qu’un budget estimatif de près de 7 milliards est nécessaire pour le règlement du problème de santé majeur à Thiaroye sur Mer qui avait même jeté le froid sur les énergies des organisateurs du dernier sommet de l’Oci à Dakar. Quand, notamment, des rumeurs commençaient à circuler sur des cas de choléra signalés dans la lointaine banlieue de Dakar, alors que c’est le taux de plombémie dans le sang trop élevé chez certains enfants qui se manifestait ainsi.
La Coopération française entend manifester son soutien au Sénégal, à condition que les remèdes soient étendus à toutes les zones touchées du pays. La même approche de l’aide a été défendue par le Fonds mondial de l’Environnement qui a déjà dégagé une enveloppe d’un million de dollars.
Des contraintes se dressent toutefois devant l’application des mesures de prévention et curatives, puisque, apprend-t-on, des sociétés indiennes ont obtenu des licences leur permettant d’acheter le plomb au Sénégal et de le recycler pour d’autres usages. La tendance à l’export des pépites de plomb sous leur forme insoluble favorise dans nos murs l’expansion, en quelque sorte, d’une certaine industrie de la mort.
Abdourahmane SY - ferloo.com