Certains scientifiques souhaiteraient déployer une sorte de «bouclier solaire»,
qui permettrait de renvoyer de la terre vers l'espace une partie du rayonnement solaire.
Jérôme Cartillier
Agence France-PressePlacer de gigantesques miroirs dans le ciel, envoyer du soufre dans l'atmosphère, fertiliser les océans avec du fer: les «géo-ingénieurs», qui veulent manipuler le climat, fascinent, intriguent et inquiètent.Évoquées depuis plus d'un demi-siècle, les techniques visant à «rafraîchir la planète» font l'objet d'une attention croissante à mesure que l'urgence du réchauffement climatique se précise.Principal argument de leurs promoteurs, emmenés par le Néerlandais Paul Crutzen, Prix Nobel de Chimie: elles s'imposeront peut-être un jour comme la seule solution si l'homme n'est pas capable de limiter rapidement et de manière drastique ses émissions de gaz à effet de serre.
Preuve de l'intérêt que suscite cette «discipline», la très sérieuse Royal Society, basée à Londres, a lancé fin octobre une étude sur le sujet pour tenter de «séparer la science de la science-fiction» et déterminer quelles options méritent d'être étudiées sérieusement. Les résultats devraient être publiés mi-2009.
Crutzen propose de lâcher du dioxyde de soufre (SO2) dans l'atmosphère pour atténuer la force des rayons solaires touchant terre, ce qui revient à reproduire ce qui se passe lors d'une éruption volcanique de grande ampleur. Mais le phénomène, complexe, reste très mal connu.
Déployer une sorte de «bouclier solaire», qui permettrait de renvoyer de la terre vers l'espace une partie du rayonnement solaire, constitue une autre piste qui se heurte, entre autres, à des coûts exorbitants pour placer ces «miroirs» dans l'espace.
Autre idée avancée: la «fertilisation» artificielle des océans. Elle consiste à épandre du fer dans l'océan pour stimuler la production de phytoplancton, microalgue marine qui fixe le dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre.
Mais nombre de biologistes océaniques se montrent sceptiques et contestent, au-delà des conséquences imprévisibles sur les écosystèmes, l'efficacité même du procédé.
Les pistes se multiplient et, à défaut d'être toujours réalistes, elles témoignent d'une imagination fertile.
Dans une étude publiée en septembre 2007, le scientifique britannique James Lovelock a proposé de disséminer sur les océans des milliers de tubes de 100 mètres de long et de 10 mètres de diamètre qui joueraient un rôle «d'ascenseur» à eau de mer qui permettraient d'enrichir les eaux de surface et de stimuler la croissance du plancton, qui absorbe le CO2.
Dans la communauté scientifique, les réticences restent fortes, très fortes.
«Manipuler le climat, moi, intuitivement, je suis réticent. Je pense qu'il sera toujours très difficile de prévoir l'ensemble des conséquences», explique à l'AFP le climatologue français Jean Jouzel, jugeant pour autant que le sujet ne doit «pas être tabou».
«Pour être honnête, la plupart de ces propositions sont complètement absurdes», tranche de son côté l'Indien Rajendra Pachauri, président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).
Pour le climatologue américain Stephen Schneider, la recherche sur le sujet est «nécessaire», mais l'ordre des priorités ne doit en aucun cas être inversé.
«Plutôt que de faire le pari que la géo-ingénierie se révélera peu coûteuse, sans conséquences imprévisibles et politiquement gérable pendant des siècles - conditions qui sont très loin d'être remplies à ce jour - je préfère commencer par diminuer l'impact humain sur la Terre par des moyens plus conventionnels», estime-t-il dans un article publié dans le journal de la Royal Society.
A Poznan, où sont réunis depuis lundi près de 10 000 délégués de quelque 190 pays, les géo-ingénieurs n'ont pas le droit au chapitre. Seuls les moyens «conventionnels» (la réduction des émissions polluantes) sont - âprement - débattus.