Iba Ndiaye, mort d’un maître sénégalais de l’art de la peinture
APA - Dakar (Sénégal) - Le Sénégal et, dans une moindre mesure le continent, ont perdu un ‘’pionnier de l’art africain’’, avec la mort, samedi à Paris, du peintre sénégalais Iba Ndiaye.
Le natif de Saint Louis du Sénégal, qui vient de s’étendre dans la capitale française, avait une philosophie de l’art, qui voulait rester conforme à un principe qu’il se plaisait à rappeler à qui voulait l’écouter.
Il s’est tojour jours agi pour Iba Ndiaye, de "parvenir à construire entre les continents, en puisant dans le riche réservoir de la culture mondiale, une peinture personnelle et authentique’’.
Décédé à l’âge de 80 ans, Iba Ndiaye, n’avait que quinze ans, lorsqu’il a commencé à peindre les affiches des deux salles de cinéma de Saint-Louis, sa ville de naissance. Il était alors élève au Lycée Faidherbe de la ville.
D’être né dans l’ancienne capitale du Sénégal et de l’Afrique occidentale française (AOF) a valu à Iba Ndiaye d’être nourri au métissage culturel, caractéristique des cités portuaires, lieux de rencontres de multiples races et cultures.
Un tel contexte de pluralité et d’ouverture a toujours influencé sa vision de l’art.
Ceci explique peut-être cela, puisque Iba Ndiaye ne se sentait ni pionnier, ni artiste africain. Il se présentait plutôt comme un homme qui peint comme il le sent et l’entend.
Invité d’honneur de la dernière l’édition de la Biennale de l’Art africain contemporain ‘’Dak’art’’ (9 mai-9 juin), Iba Ndiaye est de ceux qui ont porté à bout de bras ‘’l’Ecole de Dakar’’.
Sur la demande du poète - président Léopold Sédar Senghor, il avait fondé la section Arts plastiques de l’Ecole des Beaux-arts du Sénégal, après avoir fait ses armes en France.
A Paris, il fréquente, à partir de 1948, les clubs de jazz en même temps qu’il entreprend des études d’architecture à l’Ecole des Beaux-Arts. Et au terme d’une longue formation à Montpellier et à Paris, ponctuée par un voyage en Europe, Iba N’Diaye commence sa carrière de peintre au début des années 60.
Un an plus tard, le Président Senghor crée ’’l’Ecole de Dakar’’ en 1961. L’artiste y fait en 1962, sa première exposition personnelle et restera enseignant dans l’établissement jusqu’en 1966.
L’exposition d’Art contemporain du Premier Festival des arts nègres (Dakar, 1966) le convainc qu’il est préférable de choisir à nouveau l’exil. La manifestation était destinée à valoriser une « identité noire », pour mieux l’affirmer. Iba y voyait un courant primitiviste contre lequel il avait, vainement tenté de s’opposer.
Depuis 1967 en effet, il vit et travaille en France, en continuant tout de même de faire de fréquents séjours dans son pays. Comme une reconnaissance des siens, une large rétrospective de son travail a été réalisée en 1977, au Sénégal.
Son nom avait déjà figuré, une décennies auparavant et dix années plus tard, sur des agendas en Europe et en Amérique, où de nombreuses expositions ont accueilli ses œuvres.
C’est dans son atelier de la Ruche et dans celui de la campagne périgourdine, qu’est née la série des dix huiles sur le thème du sacrifice rituel du mouton. Ces productions seront exposées en 1970, dans le cadre du Festival de Sarlat, puis en 1974 à la Maison de la Culture d’Amiens.
Ces toiles se réfèrent au sacrifice rituel du mouton, à la fin du Ramadan, et s’inspirent notamment des racines musulmanes de la jeunesse de Iba Ndiaye, à Saint-Louis.
Sa renommée faite, il se lance à la conquête du monde. Ainsi, en 1981, il montre pour la première fois son travail à New York. En 1987, le Museum für Völkerkunde de Munich organise la première grande rétrospective de l’œuvre d’Iba Ndiaye en Europe. Celle-ci sera ensuite présentée au Pays-Bas, à l’Africa Museum de Berg en Dal en 1989, puis en Finlande au Musée d’art moderne de Tampere en 1990.
En 1996 le Museum Paleis Lange Voorhout de la Haye organise à son tour une exposition intitulée : "Iba Ndiaye : peintre entre continents", exposition organisée par Franz Kaiser, conservateur en chef au Gemmentemuseum.
En janvier 2000, Iba Ndiaye inaugure le nouveau millénaire par une exposition dans sa ville natale de Saint Louis, pont entre l’Afrique et l’Occident, qu’il avait quittée 50 ans auparavant.
L’ouverture et l’enracinement qui caractérisent sa vision de l’art, se ressentent en effet, dans des œuvres comme Rhamb (les esprits des ancêtres qui surgissent de la terre), qui reflète le lien aux mythes africains.
Et la même dynamique est en œuvre dans Le Cri d’un continent ou Le Vautour, une série qui s’attache le plus expressément aux problèmes sociopolitiques, notamment celui de l’homme noir dans un monde dominé par les Blancs.
Les premiers Paysages, série à laquelle se rattache Timis (Crépuscule) de 1983, date du séjour, entre 1970 et 1971 dans le pays Dogon au Mali, sont des toiles qui témoignent, pour leur part, d’une distance croissante de l’artiste, aux sujets de sa peinture.
Déjà en 1964, le talent et la justesse de ses orientations particulières étaient vantés par Michel Leiris, écrivain, ethnologue et critique d’art français.
Ce dernier avait écrit : ‘’je connais un jeune artiste, Iba N’Diaye, qui a travaillé à Paris. Il a longuement étudié les arts traditionnels africains et il en fait grand cas. Mais il ne veut pas les imiter stérilement et, dans ses peintures exécutées selon les techniques les plus modernes, il ne retient que le sujet".
Dans cet article extrait de ‘’L’Afrique aux cent cultures’’ et repris en novembre 1964, par France Observateur, l’ethnologue poursuit : ‘’je pense comme lui, que les nouveaux artistes africains doivent se dire qu’ils sont des artistes comme les autres, placés en face des mêmes problèmes’’.
A l’occasion du premier Festival mondial des Arts Nègres de 1966, Aimé Césaire lui avait dédicacé le ‘’Cahier d’un Retour au Pays Natal’’, avec ces mots : ‘’Pour Iba Ndiaye, dont l’art est de ceux qui redonnent confiance dans l’avenir de l’Afrique’’.
Pour l’ancien président Léopold Sédar Senghor qui avait très tôt senti le talent du peintre, et contribua à le lancer, Iba Ndiaye parvient toujours, à travers ses œuvres, à créer ‘’une symbiose entre les valeurs ancestrales, qui constituent la négritude, et celles de la modernité’’