Migration clandestine en Afrique de l'Ouest: "découragez vos enfants"
DAKAR (AFP) — Dissuader les jeunes d'Afrique de l'Ouest d'émigrer clandestinement vers le Nord est d'autant plus difficile que, souvent leur famille continue de les y encourager, dans des communautés où le migrant reste survalorisé, ont estimé vendredi des chercheurs africains à Dakar.
"Il est recommandé aux parents des migrants de décourager leurs enfants à risquer leur vie pour d'hypothétiques richesses", ont conclu les auteurs d'un rapport intitulé "Les tendances migratoires clandestines en Afrique de l'Ouest", sans nourrir beaucoup d'illusions sur la portée de cette exhortation.
Quatre "études de cas" menées au Ghana, Mali, Sénégal et en Mauritanie sont rassemblées dans ce rapport rédigé pour le compte de l'Open Society Initiative for West Africa (Osiwa), du réseau des Fondations Soros, qui organisait jeudi et vendredi une conférence sur le thème des migrations à Dakar.
Comment détourner de leur résolution des jeunes capables de se glisser auparavant dans les arrière-trains des avions et prêts, à présent, à voyager en pirogue sur plusieurs milliers de kilomètres? La question ne trouve pas de réponses simples.
"Ce qui semble motiver certains migrants, c'est qu'en dépit des souffrances endurées et des pertes humaines, quelques-uns parviennent toujours à passer +de l'autre côté+. Cette mince chance de succès transforme le rapport de ces jeunes à l'avenir en un jeu de hasard justifiant tous les risques", constatent d'abord les cinq auteurs du rapport, coordonné par le sociologue Cheikh Oumar Ba.
"Il y a 15 ans, au Sénégal, la moitié des jeunes hommes disaient +je veux partir+ mais dans des zones très précises. Maintenant, c'est quasiment 90%, pratiquement dans tous les villages, auxquels s'ajoutent des Dakarois du fait de la crise profonde et de la désillusion de la jeunesse urbaine lassée des promesses", a assuré M. Ba à l'AFP.
Le sociologue évoque "une multitude" de facteurs: commerce international inéquitable, crise de l'agriculture et de la pêche, inadaptation de la formation scolaire... Mais il constate aussi que "la famille et les communautés jouent un rôle actif dans l'augmentation des flux migratoires clandestins".
"En entretien, beaucoup de candidats ont admis que la pression de la famille était trop grande: ils n'avaient pas d'autres choix que de tenter l'aventure comme X qui a réussi à atteindre l'Espagne", explique-t-il, évoquant même un "harcèlement quotidien" et une "émulation dans certaines familles polygames".
"La famille a toujours été derrière la migration, mais le phénomène est devenu massif. Des familles se concertent pour décider qui va partir. A Mékhé, dans la région de Thiès (Sénégal), un père a dit +on a des boeufs, une bonne récolte en manioc, je vais mettre 400.000 FCFA (610 euros) et le plus débrouillard va partir+".
Ceux qui partent sans prévenir leurs parents "sont une minorité", juge le rapport Osiwa, estimant que, souvent, "la mère de famille ou le marabout ont assuré la préparation mystique du voyage", en confiant au jeune des talismans.
Quitter le pays reste excessivement valorisé et "dans certaines zones de migration, les plus belles filles sont pour les migrants", souligne M. Ba.
"Les réalisations effectuées dans leur famille ou leur village d'origine, les envois d'argent, les mariages pompeux (...) sont autant de contraintes pour la sensibilisation et elle a peu de chance de réussir dans l'immédiat", conclut l'étude.
Ses auteurs recommandent "de vulgariser à travers les chefs coutumiers et religieux des messages prohibant la migration clandestine, en mettant l'accent sur le caractère antireligieux des entreprises suicidaires".
Mais "l'action la plus décisive, estiment-ils, doit émaner des migrants refoulés eux-mêmes".