Penda Mbow : « En Europe, les grosses voitures sont les plus utilisées par les agents de la mafia et les narcotrafiquants »
Publié le 1er septembre 2008 à 9h29
La prolifération des bolides à Dakar ne laisse personne indifférent. Chacun a son idée sur la question. Penda Mbow, Présidente du Mouvement Citoyen a souvent fustigé ce phénomène. Elle estime qu’il est indécent de rouler certaines voitures à Dakar. Selon ses explications, le degré de développement du Sénégal n’admet pas les grosses voitures très présentes dans la circulation. Connaissant bien la société sénégalaise, elle ne se fait pas d’illusions et ne s’attend pas un retour de situation.
« C’est seulement en Afrique qu’on voit tant de grosses voitures dans la circulation »« Les Etats-Unis sont le pays de l’automobile. Donc chez les américains, l’industrie de la voiture est très développée, alors qu’en Europe la révolution industrielle du XIX siècle s’est faite autour de la locomotive et les chemins de fers. Il faut aussi souligner que dans le vieux continent, les distances à parcourir ne sont pas aussi énormes comparées au Etats-Unis qui constituent un sous-continent. Les Américains ont donc développé l’automobile et l’avion pour se déplacer dans leur vaste territoire. La France a donné quant à elle, une impulsion au Train à Grande Vitesse (Tgv) et au métro. Dans les autres capitales européennes vous verrez des tramways. Dans toute l’Europe c’est ainsi. Les moyens de transport en commun constituent la base du développement. Les Blancs se sont rendu compte que la voiture individuelle est source de multiples problèmes tels que la pollution et, les embouteillages. Ils ont alors œuvré pour le développement des moyens de transport en commun.
Nous par contre, nous n’avons pas les moyens mais nous sommes devenus le dépotoir de tous les trop-pleins des pays industrialisés. Nous sommes les gros consommateurs de voitures, de grosses cylindrées, et c’est seulement en Afrique qu’on remarque ces paradoxes. Par exemple, en Europe, il y a certaines voitures telles que les Hummer ou certaines voitures blindées qui ne sont utilisées que par les agents de la mafia ou les narcotrafiquants. Savez-vous qu’aux Etats-Unis, les Hummer servent le plus à faire des transferts de fonds ? Très peu de particuliers possèdent des Hummer aux Etats-Unis.
Nous en Afrique, plus la voiture est luxueuse, plus elle est prisée. Mais sur quelles routes allons nous rouler ces bolides ? Nous n’avons pas développé les routes mais nous sommes les premiers consommateurs de grosses voitures.
Parmi ces voitures, il y en a qui ne démarrent que lorsque leur réservoir est plein. Comment expliquer ce paradoxe au moment où le pétrole devient de plus en plus cher ?
Les Occidentaux l’ayant compris nous envoient ces grosses voitures et nous nous battons pour les acheter. Avec cette situation, actuellement, le grand débat dans les pays Occidentaux, c’est : « est-ce qu’il faut continuer d’aider les africains ? ». Parce qu’ils ont vu que lorsqu’ils envoient de l’aide, les élites l’accaparent pour se construire de belles maisons et acheter des voitures de dernière génération. Observez un peu et vous verrez la procession de 4x4 qu’il y a lorsqu’il y a une cérémonie. Ceux qui n’en ont pas pensent qu’il leur manque quelque chose. Une famille bourgeoise de Dakar a plusieurs véhicules tout-terrain dans son garage alors que la femme dans le monde rural parcourt des kilomètres à pied parce qu’il n’y a pas de moyens de transport.
Ce n’est pas parce qu’on a les moyens qu’on fait tout ce qu’on veut. Aussi faut-il voir si ce n’est pas l’argent du contribuable. Même si c’est de l’argent honnêtement gagné on peut quand même investir pour le bien du pays. Les pays du Nord ont été développés avec les capitaux privés des citoyens ! On ne peut pas, tout se permettre justement parce qu’on en a les moyens. Il faut se demander si mon pays répond à ce niveau de développement. Si j’avais la possibilité de me parer de diamant, pensez vous que c’est décent de le faire et de descendre dans les rues de Dakar ? Mais si les élites n’en sont pas conscientes, qui viendra sortir l’Afrique du sous-développement ? ».
« Si ne voulons pas être tués par la pauvreté, il faut que nous changions nos habitudes de consommation »« Il y a quelque chose que j’ai beaucoup aimé chez Sankara l’ancien Président Burkinabé qui a permis à son pays de faire un bond qualitatif. Pendant qu’il était Chef dd l’Etat, il roulait sa petite Renault 5 et ce n’était pas par misérabilisme. Aujourd’hui des gouvernants se permettent de rouler des voitures de trois cent millions dans les rues de Dakar. Au moment où les gens nous demandent d’économiser de l’énergie, ils utilisent eux-mêmes des voitures extrêmement gourmandes en carburant. Dans ces conditions, je ne vois pas comment la facture pétrolière peut baisser. L’utilisation de ces grosses voitures au Sénégal a évidemment un effet négatif sur l’économie du pays. Moi je ne comprends pas pourquoi nous acceptons chez nous des voitures qui consomment beaucoup de carburant, des voitures entretenues à grands frais, des véhicules dont les pièces de rechange coûtent très chères. En tout cas, si nous ne voulons pas être tués par la pauvreté, il faut que nous changions nos habitudes consommation. Actuellement on parle de déficit budgétaire qui se chiffre en centaines de milliards, je suis persuadée que l’achat de véhicules et d’énergie (carburant) y sont pour beaucoup.
L’Etat dépense présentement beaucoup d’argent pour acheter de l’énergie alors qu’on peut utiliser une partie de ces fonds pour subventionner les produits alimentaires. Pendant que quelqu’un brûle des centaines de milliers de francs pour faire le plein de sa voiture de luxe, qu’il sache qu’il y a certains qui n’ont même pas de quoi manger. S’il consommait moins d’énergie, peut être que l’Etat trouverait les moyens pour soutenir les pauvres. Donc ce n’est pas parce que j’ai les moyens que je dois faire ce que je veux. Mon acte peut entacher l’avenir de plusieurs concitoyens.
Il revient à l’Etat, au Gouvernement et aux élites de ce pays de prendre conscience pour que demain, le pays ne soit pas confronté à des difficultés beaucoup plus graves ».
Propos recueillis par Rudolph KARL